Le 6 décembre 2017 : devenir un poisson

Cher Wanis,

Adam
Tu aurais eu sept ans aujourd’hui, appris à lire, écrire et compter, suivi la progression de la semaine et compris le roulement des saisons.
Je n’ai plus besoin de te dire que je pense à toi. Tu le sais, tu le sens. Et c’est une pensée positive, apaisée et faite d’acceptation.
Depuis ma dernière lettre, je continue à faire le jeu de la vie. Ton départ avait ouvert la voie à plusieurs découvertes sur qui je suis, ce que j’attends de moi-même et du monde. Ton départ m’a recadrée, m’a enlevé mon surplus de confusion et de dispersion. C’était douloureux mais éducateur.
Le déclic opère toujours. Je continue à m’alléger de mes apprentissages, de mes certitudes et de mes excitations primaires. Je m’affranchis des regards et des préjugés. Ce que je pense de moi doit me suffire. Et je nage, oui je nage. Dans l’eau aussi. J’ai commencé mes séances en septembre. Je flotte et fais du crawl. Mon corps et moi, nous cohabitons voici maintenant 36 ans. Et pourtant, nous apprenons à nouveau à nous connaître. Nous développons de nouveaux codes en milieu aquatique. Je vois mieux ses faiblesses et ses forces. Je casse ses résistances. Il devient pâte à modeler. Quand le moniteur me demande, la première séance, quel est mon objectif. Je lui dis : « devenir un poisson ». Dans l’eau, je me vois en maquereau avec des branchies, des nageoires et des écailles. Je développe petit à petit cette croyance qui m’aide à m’améliorer rapidement. Mais je dois encore lutter contre le doute. Les poissons ne doutent jamais. C’est pour cela qu’ils flottent éternellement dans les océans. Ils se dirigent avec autant de foi vers un mollusque que vers la gueule du squale. Ils auront vécu jusqu’au bout dans l’assurance béate.
Dès que je doute, je redeviens étrangère à ce milieu liquide. Dans l’eau, l’intégration se fait par la foi.
J’ai inscrit Adam aussi à des cours de natation. Ça lui plaît. Il avance prudemment et ça ne me dérange pas. Je veux qu’il prenne son temps, qu’il exerce la lenteur que je n’ai pas connue à son âge et qui s’impose dictatorialement à moi, adulte.
Adam grandit et m’illumine. C’est un être humain à part entière depuis quelques mois. Il s’exprime, pense, met des mots sur ses sentiments, réclame, se révolte et se construit une mémoire. Jusqu’à pas longtemps, il oublie tout, tout de suite. Désormais, il a des souvenirs.
J’ai hâte de faire de la grande conversation avec lui, connaitre ses idées, ses goûts et ses passions. Et bientôt je lui parlerai de toi. Ce sera au cimetière à la période des fêtes.

Je t’aime comme je n’ai jamais aimé


Ta maman 

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