Cher Wanis,
12 ans déjà. Le souvenir est vif mais dans un cœur serein, résilient.
Commençons par les bonnes nouvelles. Je suis
globalement dans la constance et l’équilibre dont je t’avais parlé. Je suis
l’enfant que j’avais été à cinq ans. J’en garde l’âme et les émotions. C’est
juste le corps qui vieillit. Je rêvais vaguement d’un chez moi et d’un quotidien
ponctué de rituels qui me plaisaient. Je ne formulais, naturellement pas, mes
aspirations de la sorte mais je sais que ce que je vis maintenant correspond,
en plusieurs points, à ce que je recherchais. Une famille, un foyer, un travail
où je ne pars pas la boule au ventre, des livres, du sport et un enfant. Une
vie paisible exempte d’ambitions et de tiraillements.
J’ai gagné en lucidité comme je racontais dans
ma précédente lettre mais ma fragilité a aussi accru d’une façon étonnante. Une
sorte de sensibilité, d’émotivité que je ne me connaissais pas avant. Aussi, des
épisodes douloureux de ma vie que j’ai pensé avoir enterré resurgissent-ils
dans une lancinance dévorante. L’espace mental devient une machine à ressasser
le passé, à refaire l’histoire et les dialogues. Il suffit qu’un vieux fantôme agite
ses armes rouillées pour que le bataillon de souvenirs, frais et tranchants, s’abatte
sur ma pensée.
Je sombre par moments et ma résilience finit,
heureusement, par reprendre le dessus. Mais l’exercice, m’épuise. Et je me jure
de me préserver car ma santé est en jeu. Mon corps et ma tête.
C’est mon prochain défi dont je te donnerai des
nouvelles l’année prochaine. Apprendre à me protéger, me soustraire à la
malveillance de l’autre, me prioriser… des choses simples que l’humain a par
instinct ou par réflexe et qui me demandent des efforts monstres. L’ordinaire devient
extraordinaire à mon échelle.
Jusqu’à il y a quelques jours, je pensais que
cette démarche intime pouvait s’élaborer sans froisser personne car elle se
passerait à l’intérieur de moi. Aujourd’hui, je sais qu’elle m’attirerait les
foudres du reproche et de l’inimitié. De la part de personnes qui se situent sur
une extrême psychologique aux antipodes de la mienne. Qui sont dans la
glorification de l’ego, le déni de leurs crimes, l’arrogance et la dépréciation,
voire même, la négation de l’autre. Je dois lutter avec ma légendaire humilité,
ma culpabilité excessive, mon hypermnésie, qui nourrit ma rumination, et ma gratitude.
Mon seul allié est, encore une fois, ma lucidité. Et je dois me battre pour
qu’on ne me l’enlève pas. Je dois cet effort à ma mémoire, à cette enfant qui a
vaincu son destin et à Adam.
Je ne veux pas que tu te fasses du souci pour moi. Je vis bien. Je sais où je ne dois pas aller. Et c’est déjà beaucoup.
Je t’aime comme je n’ai jamais aimé.
Ta maman
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