6 décembre 2019 : les mots


Cher Wanis,

Je me demande jusqu’à quand, je continuerai à t’écrire et je pense que c’est parti pour toujours. En tout cas, tant que mes facultés mentales et physiques le permettent. Car même si tes souvenirs de notre rencontre sont figés, les miens voyagent sans cesse dans les contrées tumultueuses de ma mémoire. Je te redécouvre à chaque instant au gré de mes rencontres et du cheminement de mon âme.

Maman se porte bien. Elle essaie de maintenir cet état d’esprit serein fait de contentement et de gratitude et exempt de toute velléité d’ambition. C’est magnifique d’aimer son présent et d’avoir pour seule ambition de s’en réjouir. Mais, ce n’est pas si évident que ça. Parfois, de vieux démons surgissent. L’enfant blessé se manifeste par des cris lancinants que j’essaie tantôt d’étouffer tantôt de comprendre et de calmer.

Adam grandit. C’est un enfant agréable, qui a un bon appétit et qui est autant gourmand que gourmet. C’est aussi une personne qui a une facilité déconcertante de dire « je t’aime » et « pardon » à ses parents ce qui me soulage et me détend. Il n’y a pas pire que de traîner toute sa vie une glace que l’on n’arrive pas à briser. Et qu’une fois adulte, on se tord dans tous les sens pour lâcher les mots magiques... sans y parvenir.
Adam connait maintenant son alphabet quoiqu’il hésite à se rappeler d’une lettre ou de deux. Sur la porte du frigo, il aligne arbitrairement les formes magnétiques et me demande quel mot cela fait. Des fois, ça ne veut rien dire, d’autres c’est imprononçable car il oublie souvent d’insérer les voyelles et parfois c’est un vrai mot qui apparaît tel une éclaircie le jour d’une brume épaisse. Son mot favori reste « Figaro », le personnage de Beaumarchais qu’il a vu dans une représentation opéra du Barbier de Séville et qui le fait bien marrer.
Adam se plaint parfois de l’ennui. Je lui dis alors que, bientôt, il saura lire et lui promets qu’il ne connaîtra plus cette vacuité. En tout cas, sous sa forme pauvre et superficielle.
Je sais que je suis imparfaite et que je fais ce que je peux pour son éducation. Mais, je suis persuadée que la lecture en fera un homme et le préparera mieux à l’avenir. S’il plonge dans ce monde, jeune, il sera vacciné contre bien des malheurs. Et s’il aime autant écrire que lire, il fera des récits, élèvera des univers et construira son propre destin.
Ce sont bien les mots qui m’ont sauvée de ta perte. Ils ne reconnaissent, eux, ni la fin des temps ni la barrière des tombes.


Je t’aime comme je n’ai jamais aimé

Ta maman Ahlam

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