6 décembre 2022 : hymne au corps

 Cher Wanis,

12 ans déjà. Le souvenir est vif mais dans un cœur serein, résilient.

Commençons par les bonnes nouvelles. Je suis globalement dans la constance et l’équilibre dont je t’avais parlé. Je suis l’enfant que j’avais été à cinq ans. J’en garde l’âme et les émotions. C’est juste le corps qui vieillit. Je rêvais vaguement d’un chez moi et d’un quotidien ponctué de rituels qui me plaisaient. Je ne formulais, naturellement pas, mes aspirations de la sorte mais je sais que ce que je vis maintenant correspond, en plusieurs points, à ce que je recherchais. Une famille, un foyer, un travail où je ne pars pas la boule au ventre, des livres, du sport et un enfant. Une vie paisible exempte d’ambitions et de tiraillements.

J’ai gagné en lucidité comme je racontais dans ma précédente lettre mais ma fragilité a aussi accru d’une façon étonnante. Une sorte de sensibilité, d’émotivité que je ne me connaissais pas avant. Aussi, des épisodes douloureux de ma vie que j’ai pensé avoir enterré resurgissent-ils dans une lancinance dévorante. L’espace mental devient une machine à ressasser le passé, à refaire l’histoire et les dialogues. Il suffit qu’un vieux fantôme agite ses armes rouillées pour que le bataillon de souvenirs, frais et tranchants, s’abatte sur ma pensée.

Je sombre par moments et ma résilience finit, heureusement, par reprendre le dessus. Mais l’exercice, m’épuise. Et je me jure de me préserver car ma santé est en jeu. Mon corps et ma tête.

C’est mon prochain défi dont je te donnerai des nouvelles l’année prochaine. Apprendre à me protéger, me soustraire à la malveillance de l’autre, me prioriser… des choses simples que l’humain a par instinct ou par réflexe et qui me demandent des efforts monstres. L’ordinaire devient extraordinaire à mon échelle.

Jusqu’à il y a quelques jours, je pensais que cette démarche intime pouvait s’élaborer sans froisser personne car elle se passerait à l’intérieur de moi. Aujourd’hui, je sais qu’elle m’attirerait les foudres du reproche et de l’inimitié. De la part de personnes qui se situent sur une extrême psychologique aux antipodes de la mienne. Qui sont dans la glorification de l’ego, le déni de leurs crimes, l’arrogance et la dépréciation, voire même, la négation de l’autre. Je dois lutter avec ma légendaire humilité, ma culpabilité excessive, mon hypermnésie, qui nourrit ma rumination, et ma gratitude. Mon seul allié est, encore une fois, ma lucidité. Et je dois me battre pour qu’on ne me l’enlève pas. Je dois cet effort à ma mémoire, à cette enfant qui a vaincu son destin et à Adam.

Je ne veux pas que tu te fasses du souci pour moi. Je vis bien. Je sais où je ne dois pas aller. Et c’est déjà beaucoup.

 

Je t’aime comme je n’ai jamais aimé.

 

Ta maman

 

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