Cher Wanis,
Je ne sais pas si c’est pertinent de te souhaiter un joyeux anniversaire.
J’ai pourtant envie de le faire et je ne vais pas,
surtout ici, m’encombrer avec les usages et les convenances. En matière de
dialogues d’outre-tombe, on ne se formalise pas.
Tu aurais eu 13 ans aujourd'hui et tu aurais été un
adolescent qui donne du fil à retordre. Mais, formidable, tout de
même. C’est en tout cas l’intuition que je porte depuis notre courte cohabitation. Et je m’y accroche en l’absence d’une omniscience qui
validerait ou démentirait mon impression.
Alors, les nouvelles du front ! Elles sont bonnes. Je me déconditionne en douceur. Je me recentre, me réaligne et commence à ressentir cette immense souveraineté en moi-même. J’ai lu quelque part que la souveraineté de l’être est le vrai pouvoir et j’adhère complètement à ce postulat.
C’est impressionnant le temps que j’ai investi
dans des relations sableuses condamnées à l’effritement. J’ai un entêtement congénital
à colmater les fissures, à pardonner les erreurs rédhibitoires et à souffler
dans des baudruches percées. Alors qu’il suffit de m’arrêter et de constater
l’évanescence.
Cher Wanis,
Il y a ceux qui empruntent le train de
l’existence en dilettante : ça respire, ça s’agite, ça progresse dans le
temps et l’espace et ça ne s’embarrasse pas du sens et encore moins de
l’auto-critique et des projections long-termistes. Et il y a ceux qui, voulant
se comporter en professionnels, cherchent en permanence la justesse du propos
et de l’acte, repensent leur être et considèrent l’autre, le monde et la
planète dans leurs moindres faits et gestes. C’est l’antagonisme entre un ego qui
se déchaîne et un autre qui se régule.
Quand on fait partie de la deuxième catégorie,
il faut se préserver car la posture n’est anodine que dans un monde idéal et
manifeste. Quand on est dans un monde où prévalent les 50 nuances du faux, on
devrait être circonspect. Cela veut dire déployer une rubalise autour de soi, que personne ne s’aventura à enjamber. Délimiter sa zone intime
pour y vivre proprement et en sécurité. Et puis, observer froidement la
foule des curieux qui s’amassent à ses abords et les autres qui, trop imbus
d’eux-mêmes, ne relèvent même pas le changement tout en s’accommodant du
balisage.
Je découvre aussi un personnage : ton petit frère. Une vraie perle, pleine d’enseignements. Il grandit et son évolution s’écarte de toutes mes prévisions et schémas. J’ai lutté longtemps pour le mettre dans un moule présumable avec cet instinct borné de la mère éducatrice et secouriste. Cela m’a épuisée et n’a servi à rien. J’ai décidé alors de me tenir à ce que Adam est avant tout, à ses qualités qui sont nombreuses. Et je commence à savourer le relâchement de mes exigences et tensions. Je l’encadre toujours mais sans chercher à trop polir les aspérités d’une personnalité délicieusement et rageusement rêveuse et optimiste.
C’est aussi quelqu’un d’éminemment paradoxal, comme moi, mais à sa façon. Le paradoxe n’est-il pas finalement la matrice de la pensée ?
Je t’aime comme je n’ai jamais aimé.
Ta maman